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Lauréat.e.s du prix de thèse 2023: des recherches passionnantes, des chercheurs et chercheuses passionné.e.s

La Fédération des MSH de Bourgogne et de Franche-Comté a décerné quatre prix de thèse en février 2023 à Claire Breniaux, Irène Leroy-Ladurie, Lucas Profillet et Nastasya Winckel, pour la qualité de leur recherche, porteuse d’interdisciplinarité.
Rencontre avec nos lauréates et notre lauréat qui témoignent d’un goût communicatif pour la recherche interdisciplinaire ouverte sur la société.

  • Claire BRENIAUX – Jeunes membres du Scottish National Party (SNP) : identité nationale et adhésion partisane
  • Irène LEROY-LADURIE – « Une préférence pour la douceur ». Récit(s) de la caresse à l’époque contemporaine (1980-2019). Histoire, esthétique et poétique en bande dessinée et en littérature. Domaines français, anglais, allemand, italien et nord-américain
  • Lucas PROFILLET – Le corps en images à l’école. Ortho-figuration corporelle dans les méthodes de lecture (1880-1960)
  • Nastasya WINCKEL – Le Nord Franche-Comté, un territoire industriel en cours de revitalisation ? Analyse de la spécificité des dynamiques territoriales dans les territoires d’industrialisation ancienne

Claire BRENIAUX

Jeunes membres du Scottish National Party (SNP) : identité nationale et adhésion partisane

Laboratoire TIL (EA4182 – Université de Bourgogne)
École doctorale LECLA – Direction de thèse : Agnès ALEXANDRE-COLLIER

Résumé de la thèse :

L’avenir de l’Écosse au sein du Royaume-Uni semble être incertain. Bien qu’une majorité d’Écossais ait voté contre l’indépendance écossaise en 2014, le référendum sur le Brexit deux ans plus tard a nourri le mouvement indépendantiste en Écosse. La littérature académique montre que le référendum sur l’indépendance écossaise a poussé une partie de la population à adhérer à des partis politiques, en particulier le Scottish National Party. Cette thèse s’intéresse aux jeunes membres de ce parti. D’après la littérature sur l’adhésion partisane, la jeunesse est sous-représentée au sein des partis politiques. Comme le SNP semble rencontrer un relatif succès auprès des jeunes Écossais, cette thèse étudie l’adhésion de ces derniers, en cherchant à comprendre pourquoi ils s’engagent dans ce parti. Cette thèse montre que l’indépendance de l’Écosse par rapport au reste du Royaume-Uni est la raison principale pour laquelle les jeunes deviennent membres du SNP. Dans une moindre mesure, d’autres facteurs tels que l’idéologie politique des jeunes (social-démocratie), la socialisation politique et un intérêt pour la vie politique en général interviennent dans ce mécanisme d’adhésion partisane. Dans un second temps, ce travail de recherche pose la question d’un lien entre l’engagement des jeunes dans les organisations de jeunesse du SNP (Young Scots for Independence, YSI, et SNP Students) et l’identité nationale écossaise. Cette étude conclut que les jeunes adhérents au SNP perçoivent leur identité nationale de façon socio-politique et pas de façon ethnoculturelle. En d’autres termes, leur discours sur l’identité écossaise est fondé sur des valeurs sociales, voire sociétales, et politiques. Grâce à l’analyse d’entretiens et d’un sondage en ligne, cette thèse met en lumière un lien entre les perceptions qu’ont les jeunes membres du SNP de leur identité nationale et leur idéologie politique, la social-démocratie. Ce travail de recherche souligne également le lien entre la campagne de ces jeunes pour l’indépendance écossaise et leur vision de l’identité écossaise et de la britannicité. En ce sens, cette thèse aboutit à un modèle explicatif de l’adhésion partisane des jeunes au SNP, avec comme variables indépendantes, l’indépendance écossaise et la version sociétale et socio-politique de leur identité nationale. En ce sens, cette thèse propose le concept de ‘socio-nationalisme’ pour faire référence à l’activisme politique des jeunes membres du SNP.

Quel rôle a pu jouer l’interdisciplinarité dans votre travail de recherche ?
Cela m’a permis d’avoir une certaine ouverture d’esprit et de combiner plusieurs méthodologies afin d’effectuer mes recherches. Plus précisément, outre l’usage que j’ai pu faire de ma formation d’angliciste, j’ai travaillé à partir de la méthodologie de la recherche en science politique, discipline que j’ai découverte en produisant ma thèse. Ma formation en tant que chercheuse en civilisation britannique a sans doute permis d’apporter un regard différent sur le sujet de science politique que j’ai traité avec ma thèse. De la même façon, mes recherches en science politique ont sans doute apporté un regard nouveau sur ce sujet de civilisation britannique. J’ai apprécié travailler dans ces deux disciplines. Cela m’a sans doute permis de bénéficier d’outils de recherche que les chercheurs en civilisation britannique seule ou en science politique seule n’ont peut-être pas, ou moins, à leur disposition. Je dirais qu’à travers son interdisciplinarité, ma thèse a permis un dialogue entre civilisation britannique et science politique.

En quelques mots, quels sont les résultats de votre travail de recherche que vous aimeriez soumettre à discussion dans le débat public ? En quoi votre regard de chercheur, sur les domaines de recherche que vous avez explorés, pourrait-il être utile à des évolutions de notre société ?
Les résultats de mon travail de recherche que j’aimerais soumettre à discussion dans le débat public sont les suivants : ma définition de l’identité nationale (elle peut tout aussi bien relever d’éléments ethnoculturels que d’éléments socio-politiques et civiques et d’une certaine vision de la société), d’une part et, d’autre part, le fait que les jeunes Écossais adhérents au parti nationaliste écossais (SNP) pour des raisons identitaires (au sens où j’entends le concept d’identité nationale).
Mon regard de chercheuse sur les domaines de recherche que j’ai explorés pourrait être utile à notre société dans le sens où il pourrait permettre aux partis politiques de mieux comprendre pourquoi peu de jeunes s’engagent dans leurs rangs et, ainsi, de leur donner des solutions pour être plus attractifs auprès des jeunes. De façon plus générale, il pourrait permettre de mieux appréhender la relation entre jeunesse et politique.

Quels conseils donneriez-vous à un.e jeune chercheur.e qui débuterait actuellement son travail de recherche doctorale ?
Je lui conseillerais d’être rigoureux, méthodique et organisé. Le mieux est d’établir un calendrier avec sa directrice ou son directeur de thèse (calendrier qui pourra bien sûr évoluer au cours de la thèse) afin de se fixer des dates et objectifs pour avancer au mieux dans la thèse. Je lui conseillerais aussi de croire en sa thèse, malgré les hauts et les bas inévitables durant le doctorat. Il faut croire en ses idées et les démontrer en argumentant suffisamment et, bien sûr, en s’appuyant sur le résultat de ses recherches. Il faut toujours bien justifier ses conclusions et ses choix. Il faut également être ouvert à une ou des évolution(s) de sa thèse. Le travail de recherche peut amener à repenser tout ou partie de sa thèse de départ. Il faut aussi être ouvert aux conseils et points de vue des autres chercheurs. Cela fait grandement avancer. De plus, je lui conseillerais de veiller à bien montrer ce que sa thèse apporte à la ou les discipline(s) dans laquelle ou lesquelles elle est effectuée. Tout l’enjeu d’une thèse est de participer au débat scientifique sur un sujet en particulier et de compléter l’état de l’art sur ce sujet. Je lui recommanderais également de ne pas confondre thèse et doctorat. Selon moi, un doctorat ne se résume pas à une thèse : il s’agit d’une période de découverte du travail de chercheur. Or, ce travail ne se résume pas à la thèse. Il est important, selon moi, de communiquer lors de manifestations scientifiques telles que les congrès et de publier des articles. Dans la même idée, il est important de créer son réseau professionnel en contactant d’autres chercheurs et en échangeant avec eux lors de manifestations scientifiques. Pour les doctorants qui envisagent une carrière universitaire en tant qu’enseignant-chercheur, je conseille, outre les cours à dispenser, de s’engager dans des activités administratives (responsabilités scientifiques, éditoriales…). Enfin, je conseillerais de se ménager du temps libre. L’équilibre vie privée, vie sociale et thèse est fondamental selon moi. Il ne faut pas hésiter non plus à s’accorder du repos. L’essentiel est de travailler efficacement pour rendre sa thèse dans le temps imparti tout en s’accordant du temps pour soi. Une thèse est une course d’endurance, pas un sprint.

Irène LEROY-LADURIE

« Une préférence pour la douceur ». Récit(s) de la caresse à l’époque contemporaine (1980-2019). Histoire, esthétique et poétique en bande dessinée et en littérature. Domaines français, anglais, allemand, italien et nord-américain
Laboratoire CPTC (EA 4178 – Université de Bourgogne)
École doctorale LECLA – Direction de thèse : Henri GARRIC

Résumé de la thèse :

En 1977, sur le plateau d’Apostrophes, Roland Barthes sonnait le glas de l’amour-passion et sa figure amoureuse, en déplorant sa « solitude » dans les grands systèmes de compréhension du monde. Depuis, la période contemporaine qui s’étend des années 1980 à nos jours ne cesse de voir apparaître des études sociologiques et anthropologiques qui signent la fin du sentiment amoureux, tel que nous le connaissions. Il aurait changé de forme et n’apparaîtrait plus que sous un aspect minimal d’attachement réciproque. Fragilisé par la clôture de l’individualisme et l’ouverture des possibles amoureux, l’amour-passion n’exciterait plus. Partant, la représentation du désir amoureux et charnel, l’érotisme, sujet pourtant vendeur, aurait disparu au profit d’un sentiment « pornographique » diffus qui correspondrait davantage au régime contemporain de la disponibilité infinie des corps et des désirs. Celui-ci aurait infusé l’art du récit d’amour et du récit de soi, provocant un excès d’exhibition et la recherche d’une « transgressivité » (trash, obscénité) sans authentique transgression. Cette thèse prend acte du décloisonnement de la matière érotique hors des frontières du genre. Ce décloisonnement s’accompagne d’une mutation profonde de la transgression attachée à l’érotique, telle qu’elle fut conçue par Georges Bataille. La grande passion qui conduit à la fusion des âmes et des corps cède la place des individus détachés, s’attachant provisoirement aux douceurs de la sexualité. La confrontation tragique des principes d’eros et thanatos ne dévoile plus les éclats noirs et sidérants de la jouissance. Il semblerait qu’un triste refroidissement lié à la banalité du sexe et de ses représentations ait frappé le désir et l’amour. Au contraire de constater un puissant désir d’érotisme, ses aspects « pornographiques » donneraient lieu à un rejet critique, par les discours féministes notamment. L’amour érotique devient le lieu d’un renouveau des discours politiques qui y traquent les pièges de la domination, de la fétichisation et de l’exclusion. Les luttes féministes et LGBT y prennent une grande part. Les discours sur l’amour réclament une nouvelle éthique des rapports amoureux et sexuels. L’érotisme serait devenu dans les récits une intensité faible, produit de la disponibilité et de la simplicité de son accès. Dévalué, il serait l’objet au mieux de réplétion, au pire de suspicion. Ni célestes, ni morbides, les plaisirs sensuels de l’amour se dissolvent dans des histoires dont l’action principale n’est pas nécessairement le jouir. Cette thèse prend le parti d’enquêter sur la présence, la ou les significations et enfin l’esthétique d’un de ces signes faibles d’amour, de sensualité et de tendresse : la caresse. Plus que jamais le geste de la caresse apparaît comme un angle d’étude de nouveaux discours sur l’amour et l’érotisme. Plaisir sensible purement gratuit, elle n’est pas nécessairement guidée par le désir de transgression ou la soif de dévoration. Geste chargé d’une signification éthique, il apparaît comme une incarnation d’un amour réciproque de soi et de l’autre, un geste d’attachement sans fusion. En tant que lien provisoire et fragile, elle fait signe vers une pensée du care, réitérant à chaque fois l’amour de l’autre et l’amour de soi : la caresse fait plaisir à donner, tant qu’elle en provoque. La caresse, comme signe faible du désir et du plaisir, apparaît comme porteuse des nouvelles conditions des récits érotiques : objet glissant, elle n’est pas assignable à un seul code générique ou à un seul type de narration ; objet métaphorique, elle se vêt de significations multiples et ne se fige pas dans une rhétorique de l’amour. Elle impose un nouveau regard sur les récits de amoureux. L’étude se fonde sur un ensemble de narrations littéraires et graphiques, autobiographiques, autofictionnelles, érotiques et réalistes en allemand, en anglais, en français et en italien des années 1980 à 2019.

Quel rôle a pu jouer l’interdisciplinarité dans votre travail de recherche ?
L’interdisciplinarité est au cœur de mon approche, en tant que comparatiste et en particulier en traitant d’un sujet à la fois social, anthropologique et culturel – l’érotisme, l’amour et ses gestes. En effet, je me situe dans la tradition d’un comparatisme tout d’abord intermédial, qui s’intéresse aux liens qu’entretiennent différentes discipline artistiques (littérature et bande dessinée) ou différentes approches médiatiques et sémiotiques (image et texte). Qui plus est, le comparatisme est une discipline des lettres qui a aussi eu pour tradition de faire converger les approches esthétiques, littéraires et les approches en sciences humaines, comme l’anthropologie culturelle. Cela peut conduire dans certains cas, comme dans le mien, à l’approche dite des cultural studies ou des études culturelles. Celles-ci envisagent des questions sociales, culturelles ou politiques à partir d’angles divers et complémentaires pour mieux embrasser toutes les facettes d’un sujet.
J’ai ainsi dû faire des lectures d’anthropologie, de sociologie, d’histoire des sensibilités, de théorie critique, de théorie littéraire et de bande dessinée pour cerner au mieux mon sujet. L’accueil qui m’a été fait dans le séminaire interdisciplinaire « Sexualité(s) » de la MSH de Dijon a été passionnant à cet égard, notamment grâce au dialogue que j’ai pu instaurer avec des historiens du sensible, comme Hervé Mazurel.

En quelques mots, quels sont les résultats de votre travail de recherche que vous aimeriez soumettre à discussion dans le débat public ? En quoi votre regard de chercheur, sur les domaines de recherche que vous avez explorés, pourrait-il être utile à des évolutions de notre société ?
Mon travail de recherche se penche sur les représentations mais aussi sur les manières de raconter la sexualité, le désir et ses gestes à l’époque contemporaine. Si les œuvres que j’étudie émanent de sensibilités et d’esthétiques propres à chaque artiste, elles participent à la constitution d’une culture de l’amour et de la sexualité. Ces œuvres participent parfois à renforcer à une culture dominante de l’érotisme et j’en propose aussi une critique, au sens plein du terme, c’est-à-dire une contextualisation et une explication de ses mécanismes. Dans un chapitre, je montre la manière dont la caresse peut être un geste ambivalent, symbole d’une emprise et d’une domination. Le plus souvent, les œuvres les plus intéressantes que j’ai étudiées participent plutôt à construire une culture mineure, alternative, de l’éthique amoureuse : elles proposent des formes de résistance à une norme amoureuse. La caresse en elle-même y apparaît comme un geste qui interroge le désir de l’autre et son plaisir. Elle magnifie le plaisir sexuel sans consommation et toutes ses nuances périphériques à la pénétration (et voire la pénétration vue comme caresse). Ce sont là autant de « scripts sexuels » alternatifs à la norme, que parfois seul·es des artistes pouvaient à ce moment-là faire émerger. En somme, étudier la caresse comme l’un des gestes de la chorégraphie amoureuse contemporaine permet de s’interroger sur la manière dont on peut raconter les récits du désir. C’est sujet central des débats contemporains du féminisme et de manière générale de toutes relations de domination.

Quels conseils donneriez-vous à un.e jeune chercheur.e qui débuterait actuellement son travail de recherche doctorale ?
Je lui conseillerais de bien s’entourer d’abord ! Je parle ici du directeur ou de la directrice de recherche, ainsi que de l’équipe de laboratoire qui l’accueille. Il n’y a rien de plus douloureux que de ne pas être soutenu·e ou écouté·e pendant son doctorat par les instances qui vous encadrent. Pour cela le comité de suivi de thèse doit être un instrument au service du doctorant ou de la doctorante et non pas un moment de pré-soutenance ou de pression. Je lui conseille également de s’entourer des autres doctorant·es de son laboratoire ou de son école doctorale, afin de participer à des activités communes : soit monter des projets de recherche (revue des doctorant·es comme celle de LECLA) ou simplement avoir un groupe de travail (relectures, corrections) et favoriser les échanges (comment on candidate pour un colloque, une bourse, un poste d’ATER). J’ai eu l’immense chance d’être entourée de jeunes doctorantes de mon laboratoire qui travaillaient avec des méthodologies similaires à la mienne. Dans la grande solitude du travail doctoral ces moments de mise en commun furent précieux tant d’un point de vue scientifique qu’humain. Enfin, je leur conseillerais de se rapprocher des associations de recherches ou sociétés savantes propres à leur sujet (moi ce fut La Brèche pour la bd), ce sont des lieux de sociabilité avec des chercheur et des chercheuses qui peuvent beaucoup nous apporter, tout en offrant un cadre de convivialité distinct du laboratoire et de ses dynamiques de pouvoir.

Lucas PROFILLET

Le corps en images à l’école. Ortho-figuration corporelle dans les méthodes de lecture (1880-1960)

Laboratoire C3S (EA 4660 – Université de Franche-Comté)
École doctorale SEPT – Direction de thèse : Christian VIVIER, Sébastien LAFFAGE-COSNIER

Résumé de la thèse :

Les méthodes d’apprentissage de la lecture sont des objets culturels et scolaires incontournables. En France, depuis la fin du XIXe siècle, ces livrets accueillent de nombreuses illustrations, relatives à une multitude de thématiques. À l’interface d’enjeux et de contextes variés, les images de plusieurs centaines de ces manuels, publiés entre 1880 et 1960, révèlent de foisonnantes et complexes représentations du corps. Les vignettes qui mettent en scène des activités physiques (sports, jeux, gymnastiques, etc.) sont des ressources formidables pour appréhender les représentations et imaginaires corporels déployés pour l’éducation des enfants. Toutefois, leur existence ne va pas de soi. En effet, se pose alors la question de l’acceptabilité et de la légitimité des illustrations des pratiques physiques, ludiques et sportives dans des livrets servant à l’apprentissage de la lecture. Ces images montrent des corps dont les apparences et les actions sont minutieusement mises en scène. De plus, ces illustrations doivent se conformer aux finalités liées aux apprentissages et à l’éducation des enfants, mais aussi à un certain ordre social, politique et culturel fantasmé par les adultes qui élaborent ces méthodes. Ainsi, de 1880 à la fin des années 1910, les images du corps et des activités physiques sont marquées essentiellement par leur austérité. Au cours de l’Entre-deux-guerres, les illustrations des formes corporelles sont tiraillées entre cette forme de représentation et un modèle qui, dès la fin des années 1930 jusqu’à l’aube des années 1960, accentue le caractère récréatif de ces images du corps. Cependant, entre inerties et ruptures, cette étude doctorale montre que ces transformations sont plus nuancées et moins opposées qu’il n’y paraît. L’analyse propose de plonger au cœur d’une dynamique mouvante, d’un processus de réinventions successives de figurations toujours orthodoxes, d’« ortho-figurations » corporelles qui, de manière variable selon les époques, conjuguent des motifs contraires : la sévérité et le plaisir, le sérieux et le divertissement, la disciplinarisation et l’émancipation, etc.

Quel rôle a pu jouer l’interdisciplinarité dans votre travail de recherche ?
Afin d’appréhender le triptyque corps-images-manuels, j’ai mobilisé une approche interdisciplinaire à la confluence de l’histoire, des sciences et techniques des activités physiques et sportives (STAPS) et des sciences de l’éducation. J’ai d’ailleurs soutenu cette thèse devant un jury révélateur de mon implication dans ces différents champs disciplinaires !
Cette recherche historique m’a donc permis d’analyser l’iconographie corporelle relative aux activités physiques contenue dans les manuels scolaires publiés depuis la fin du XIXe siècle jusqu’à 1960. Or, il est indéniable que cette recherche doctorale se rapproche également du champ des sciences de l’éducation. En effet, les sources étudiées – les méthodes de lecture – sont des outils pédagogiques, des objets scolaires incontournables, utilisés pour apprendre à lire aux jeunes écoliers. En outre, mon travail de recherche implique indéniablement le champ des STAPS car, au-delà de la question du corps, j’ai essayé d’interroger les mécanismes rendant acceptables et légitimes des illustrations de pratiques physiques, ludiques et sportives dans ces livrets d’apprentissage mobilisés dans l’institution scolaire. De ce point de vue, ce travail s’inscrit dans le cadre de l’activité pluridisciplinaire et des enjeux interdisciplinaires qui caractérisent les axes 1 (« Éducation Corps Mouvement ») et 2 (« Mythes, imaginaires sociaux et cultures visuelles ») du laboratoire Culture Sport Santé Société auquel je suis rattaché.

En quelques mots, quels sont les résultats de votre travail de recherche que vous aimeriez soumettre à discussion dans le débat public ? En quoi votre regard de chercheur, sur les domaines de recherche que vous avez explorés, pourrait-il être utile à des évolutions de notre société ?
En un mot, cette thèse décrypte la manière dont, depuis la fin du XIXe siècle, les concepteurs d’ouvrages scolaires diffusent un ensemble d’illustrations orthodoxes et non transgressives, donnant à voir aux élèves des formes corporelles bienséantes et acceptables, si ce n’est exemplaires, des modèles conformes aux nécessités éducatives, aux objectifs pédagogiques, voire à un certain ordre social, politique et culturel fantasmé.
Ce faisant, à travers des ouvrages qui, pour certains d’entre eux, ont marqué plusieurs générations d’écoliers, j’ai voulu questionner les représentations du corps car ces constructions complexes participent pleinement à l’instruction et à l’éducation de très nombreux élèves. Mais si cette recherche s’arrête aux années soixante, les réflexions qui la traversent concernent notre époque. De fait, cette modeste contribution invite, comme d’autres travaux, à interroger le « bain visuel » dans lequel évoluent les enfants, hier comme aujourd’hui, à l’école et en dehors. Ce travail de décryptage des normes, stéréotypes et modèles corporels auxquels ils sont quotidiennement confrontés me paraît essentiel, notamment pour amener les collègues enseignants à prendre du recul par rapport aux supports utilisés en classe.
D’ailleurs, je prolonge, dans mes nouvelles recherches, cette réflexion sur les représentations du corps et du sport en envisageant d’autres supports et médias liés à la culture enfantine, comme la littérature de jeunesse ou les dessins animés par exemple. Ces derniers mettent également en scène des personnages dont les corps sont investis d’enjeux contradictoires, entre émancipation et disciplinarisation, affranchissement et normalisation, etc. Ces supports destinés aux jeunes générations, plus attrayants et enchanteurs, sont assurément révélateurs des mythes, des croyances et des imaginaires d’une époque.

Quels conseils donneriez-vous à un jeune chercheur ou une jeune chercheuse qui débuterait actuellement son travail de recherche doctorale ?
Il est très difficile de répondre à cette question. Il me semble particulièrement délicat et quelque peu présomptueux d’identifier des conseils qui pourraient concerner toutes et tous les jeunes chercheurs et chercheuses, d’autant plus que leurs parcours personnels, universitaires et professionnels sont variés.
Toutefois, un élément qui me semble important est de prendre conscience, avant de s’engager dans une recherche doctorale, que ce travail ne sera pas toujours un long fleuve tranquille. Certes, la thèse reste une formidable aventure intellectuelle. Néanmoins, bien des obstacles pourront se dresser sur le chemin des jeunes chercheurs et chercheuses, et le travail doctoral peut s’avérer physiquement et moralement éprouvant. Pour dépasser ces obstacles, je pense qu’il ne faut surtout pas rester isolé.e et profiter de tous les échanges dont on peut bénéficier tout au long du travail avec des titulaires, d’autres doctorants et doctorantes, etc.

Nastasya WINCKEL

Le Nord Franche-Comté, un territoire industriel en cours de revitalisation ? Analyse de la spécificité des dynamiques territoriales dans les territoires d’industrialisation ancienne

Laboratoire RECITS / FEMTO-ST (UMR 6174 – UTBM)
École doctorale SEPT – Direction de thèse Nathalie KROICHVILI

Résumé de la thèse :

La thèse aborde de manière neuve, à partir d’outils et de méthodes originales, un problème dont les sciences sociales se sont saisies depuis une vingtaine d’années : la relégation et l’abandon de certains territoires soumis à de forts changements dans les activités économiques qui en forgeaient l’identité. L’enjeu de revitalisation de territoires en pleine mutation est donc au centre du travail de recherche conduit dans cette thèse.
Inscrite dans les développements du projet ORTEP de la MSHE, la recherche menée au cours de cette thèse se veut une contribution à la co-construction de la grille conceptuelle de la revitalisation, la spécification de cette dernière aux territoires industriels, et l’application de ce cadre adapté à une étude de cas – le Nord Franche-Comté industriel.
La thèse s’organise en trois parties. La première présente l’approche privilégiée, essentiellement interdisciplinaire, abductive, c’est-à-dire ancrée dans l’observation et l’appréhension de la réalité empirique, et qualitative. La deuxième rend compte du processus d’exploration, de conceptualisation de la revitalisation territoriale et d’adaptation de ce cadre théorique aux territoires industriels. Pour ce faire le travail de recherche a mobilisé plusieurs disciplines, en particulier l’économie et la géographie, associées à une exploration de références en sociologie, aménagement du territoire, histoire, archéologie, écologie. La troisième porte sur l’application de la grille d’analyse de la revitalisation à un terrain d’étude, le Nord Franche-Comté. Parmi de nombreux territoires industriels en pleine mutation, le Nord Franche-Comté se présente comme un terrain d’étude pertinent des plans d’action de revitalisation. En effet, les restructurations industrielles successives de ces vingt dernières années et le contexte de la métropolisation ont fragilisé ces territoires polarisés par deux villes moyennes, Belfort et Montbéliard. L’objectif était d’analyser sous une perspective nouvelle les plans d’action mis en œuvre à l’échelle du territoire pour remédier à ses difficultés. Il s’agit de spécifier de manière novatrice les dynamiques de transformation locales.
Les résultats opérationnels se traduisent par des recommandations, en particulier la nécessité de réintégrer les acteurs en marge dans les actions dites de revitalisation, trop souvent centrées sur l’accompagnement seul des restructurations industrielles, mais aussi de rediscuter le diagnostic dominant des difficultés du territoire (perçues comme essentiellement économiques). À travers l’application du cadre théorique de la revitalisation au cas du Nord Franche-Comté, nous avons donc pu en tester la pertinence théorique et opérationnelle. D’une part, nous avons montré que la revitalisation renvoyait bien à des dynamiques, modalités d’action et trajectoires spécifiques. D’autre part, l’application de ses principes nous a permis de rendre intelligibles des dynamiques locales et de révéler un certain nombre de freins au changement et une difficulté locale à penser les mutations territoriales au-delà de la question industrielle.

Quel rôle a pu jouer l’interdisciplinarité dans votre travail de recherche ?
Le cadre théorique de la revitalisation territoriale qui est au cœur de mes recherches est le fruit d’une coopération interdisciplinaire entre membres du projet ORTEP, porté par la MSHE. Aussi, mes recherches n’auraient jamais été aussi riches sans les connaissances théoriques et l’expérience des chercheurs et des chercheuses avec qui j’ai collaboré. Inversement, j’espère avoir également nourri les réflexions collectives avec mes propres réflexions et mon travail de terrain. L’image de la tapisserie ici marche très bien. L’ensemble des chercheurs et chercheuses d’ORTEP ont apporté un ensemble de fils (des concepts, des techniques, de l’expérience de terrain) sur la table. Chacun et chacune individuellement pouvait produire une œuvre, mais c’est par l’association de nos colorations disciplinaires et de nos compétences que nous avons pu constituer une fresque extrêmement riche et avec beaucoup de relief. Ici, cela ne fait pas de doute que le tout représente bien plus que la somme des parties.
Je suis aussi convaincue d’avoir commencé ma carrière dans la recherche avec une expérience assez unique, et j’espère bien la revivre !

En quelques mots, quels sont les résultats de votre travail de recherche que vous aimeriez soumettre à discussion dans le débat public ? En quoi votre regard de chercheur, sur les domaines de recherche que vous avez explorés, pourrait-il être utile à des évolutions de notre société ?
Mes recherches ont notamment porté sur la spécification d’un cadre théorique nouveau – la revitalisation territoriale – pour les territoires industriels. Dans ce cadre-là, mes entretiens ont essentiellement ciblé les restructurations industrielles de ces vingt dernières années dans le Nord Franche-Comté et j’ai essentiellement interrogé les acteurs qui sont en prise directe avec ces questions (élus, services déconcentrés de l’État, entreprises, syndicats…). Nos résultats montrent notamment que le diagnostic des difficultés se rapporte souvent à l’industrie, considérée comme creuset de toutes les autres dynamiques locales. Par conséquent, les plans d’action locaux se concentrent d’abord sur le maintien et le renouvellement de l’industrie. Il s’agit d’actions et de dispositifs ambitieux et qui mobilisent très largement les forces locales, mais qui tendent à laisser de côté de nombreux acteurs, et notamment une grande partie de la population, alors même que les problématiques liées à la précarité, à la démocratie représentative et le changement écologique sont plus fortes que jamais.
Dans cette perspective, il me semble primordial de rouvrir les processus de diagnostic et de constitution de plans d’action aux personnes généralement laissées à la marge. À l’avenir, je souhaiterais partager ces résultats avec ces mêmes acteurs que nous n’avons pas encore rencontrés et écouter les propositions qui émergent des entretiens et discussions en groupe. Je suis persuadée que ces échanges peuvent alimenter de manière très pertinente les plans d’action mis en œuvre localement – pour peu que ceux et celles qui décident prennent le temps de les écouter.

Quels conseils donneriez-vous à un jeune chercheur ou une jeune chercheuse qui débuterait actuellement son travail de recherche doctorale ?
C’est important de toujours donner du sens à ce que l’on fait, de s’efforcer de replacer son travail dans une perspective plus large. Je pense en particulier aux jeunes chercheurs et chercheuses qui travaillent sur un sujet très précis et technique ! Je conseillerais aussi de ne jamais rester seul.e avec ses interrogations : une discussion – même avec des personnes qui ne sont pas du domaine – peut être enrichissante et permettre de faire un pas de côté et de changer de point de vue par rapport à de potentiels obstacles. Enfin, attention au perfectionnisme ! On peut toujours remettre l’ouvrage sur le métier, mais souvent il vaut mieux accepter qu’il y aura toujours quelque chose à améliorer, peaufiner, polir… Et puis, quelquefois il faut accepter que dans la cuisine cérébrale il peut être nécessaire de laisser les choses reposer un temps pour qu’elles puissent mûrir.

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